Débâcle, Lize Spit

Couverture de Débâcle, Lize Spit
"Il est revenu armé d'un sachet de krupuk et d'un saint Nicolas miniature en chocolat. Le paquet de chips aux crevettes a fini sur ses genoux, la figurine sur les miens. J'ai directement croqué la tête du saint homme, histoire d'abréger ses souffrances- c'est comme ça que faisait Tessie : "Ceux qui commencent par les pieds, on voit tout de suite que c'est des sadiques."

"Est-ce qu'il existait un mot pour exprimer ce qu'elle était devenue ? Un nom comme veuve ou orpheline, mais réservé aux mères ayant perdu un enfant ? Et le fait qu'il n'y en ait pas, est-ce que c'était une consolation ou au contraire une chose qui transformait le chagrin en un animal féroce et indomptable ?"

Je suis tombée sur ce livre un peu par hasard sur Instagram. C'est bien sûr avant tout cette couverture terriblement dérangeante qui m'a poussé à lire le résumé. 


Le mot "débâcle" englobe plusieurs définitions (je ne vais pas vous faire un cours de français, ne partez pas!) :
  • Rupture des glaces d'un cours d'eau, entraînées alors par le courant, provoquant une augmentation rapide du débit, souvent génératrice d'inondations.
  • Déroute d'une armée ; débandade
  • Ruine, chute d'une entreprise, d'une affaire, etc. ; faillite 
Et bien, il y a un peu de tout cela dans ce premier roman de Lize Spit.  
Pour tromper l'ennui durant leurs vacances d'été, Pim, Laurens et Eva imaginent un stratagème pour faire se déshabiller les plus belles filles de leur petit village flamand, perdu en pleine campagne. Les victimes doivent résoudre une énigme en posant des questions. À chaque mauvaise réponse, un vêtement tombe. Jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus.
Autant avertir les âmes sensibles, le contenu est à l'image du contenant. Débâcle, c'est l'histoire de la fin de l'innocence, de la fin des jeux d'enfants et de l'enfance. C'est l'histoire d'un petit jeu bête et pervers, à l'issue dramatique et irréversible. C'est l'histoire de Pim et Laurens, mais surtout d'Eva, la fille de la bande, à la fois victime et bourreau, jeune adolescente qui va devoir se construire dans une famille dysfonctionnelle, qui va devoir devenir adulte, avec le poids de ce passé qui pèse trop fort sur ses épaules. 
Treize ans après cet été-là, Eva va retourner dans le petit village de son enfance, emmenant avec elle un bloc de glace dans le coffre de sa voiture.

La construction du roman, alternance de flash-back et de retours dans le présent, dévoile habilement les différents pans de l'histoire, que l'on assemble comme les pièces d'un puzzle aux couleurs salies d'une noirceur poisseuse, écœurantes jusqu'à la nausée. Le style de l'auteur est empreint d'hyper-réalisme, les descriptions y sont froides et très crues. On trouve dans ce roman une liberté de ton, une impudeur, qui servent terriblement bien l'atmosphère malsaine qui s’immisce entre les lignes, entre les pages, entre chaque mot. Latente tout au long du livre, la violence et la cruauté deviennent insoutenables lorsqu'elles se dévoilent entièrement dans des scènes-clés d'une précision clinique absolument glaçante. 

Si par moment j'ai pu trouver le temps long, si parfois je me suis interrogée sur la pertinence d'un tel déploiement de détails sordides, je dois dire que le final à lui tout seul vaut le détour et est tout simplement magistral, bouclant la boucle de façon brillante.

Débâcle, c'est un premier-roman choc qui m'a rappelé un peu Laura Kasiscke (dont je vous conseille vivement la lecture de "Les revenants" ou d'"Esprit d'hiver"). Débâcle, c'est cette petite fille angélique qui fume sa clope en faisant la moue, comme une femme désabusée, blasée, blessée. A lire si vous avez envie de vous prendre une claque qui va laisser sur votre âme une marque indélébile.

2 commentaires:

  1. Le contenu est aussi intrigant que la couverture ! Me voilà bien prise au piège ! Merci de cette découverte. J’avais bien croisé plusieurs fois cette couverture, mais n’avais pas voulu m’arrêter craignant un effet de bluff. Je me suis trompée !

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    1. Je me réjouis d'avoir ton avis, si tu t'y mets! Bonne lecture!

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