Serre-moi fort, Claire Favan

"Tout ça est tellement injuste ! Ma sœur a disparu, mais au fond, c'est moi qui suis mort. Me vient une brusque envie de cracher ma haine à la face du monde, de maudire la pitié hypocrite des voisins, de réveiller mon père et ma mère à coups de pied. "

 "Je me demande parfois si mes parents seraient aussi malheureux si c'était moi le disparu..."

"Je ne suis pas comme tous ces tueurs en série inadaptés qui vivent en marge de la société avec une étiquette de frappadingue plantée au milieu du front. Je ne vis pas isolé, j'ai des amis, des voisins qui pensent que je suis un gars serviable. Je suis quelqu'un de tout à fait fréquentable. J'ai des rapports normaux avec les femmes. J'aime leur donner du plaisir. Je n'ai aucune pulsion violente ou de problème d'impuissance quand je suis avec une fille. Oui, tout va bien... "

Me voilà à nouveau avec un policier bien noir et bien glauque comme je les aime, et une auteur que je ne connaissais pas encore, Claire Favan. Avec ce roman, elle s'est hissée dans les premières places de ma listes des auteurs à suivre (liste purement théorique évidemment, car je n'arrive jamais à lire tous les livres qui s'y trouvent). 

Un livre en trois parties : dans la première, on suit le calvaire de Nick, "l'enfant qui reste" après la mystérieuse disparition de sa sœur Lana, assurément la préférée de ses géniteurs. Nick va devoir grandir entre des parents totalement dépendants de lui, mais incapables de lui donner en retour l'amour et l'attention dont il a toujours manqué. La deuxième partie se concentre sur Adam, le flic en charge de l'enquête mise en place après la découverte de plusieurs cadavres dans une grotte. L'un d'entre eux pourrait être Lana... Fragilisé par la mort récente de sa femme et les relations tendues avec ses enfants, Adam va franchir le pas de trop, qui le mènera tout droit dans l'antre du tueur, dans un face à face terrifiant. Je ne vous dirai rien de la troisième partie, afin de ne rien dévoiler.

Ce roman est une réussite ! La première partie se termine par une claque magistrale, qui tient en une seule ligne, et que personnellement je n'ai pas vu venir du tout. Paf ! Dans la figure ! Wouah, je suis restée la mâchoire décrochée et les sourcils levés quelques secondes avant de pouvoir reprendre ma lecture. Les deux autres parties sont également très bien menées : les rebondissements s'enchaînent parfaitement, entretenant le suspense du récit, qui évolue dans une atmosphère où la noirceur s'infiltre dans les moindres recoins. Tout se tient magnifiquement, l'auteur joue avec nos nerfs tout au long de ces trois parties, qui se lient entre elles pour aboutir à un final qui nous explose à la figure, dans toute son horreur. 

Les personnages sont à l'image de ce roman : complexes, sauvages, révoltés, attachants, repoussants. On a envie de serrer très fort dans ses bras Nick, l'adolescent complexé en manque d'amour parental, qui s'acharne à atteindre la perfection pour un peu de reconnaissance qu'il n'obtiendra jamais. On s'indigne du comportement injuste des parents (mais comment réagirions-nous?). On s'attache à ce flic paumé dans tous les aspects de sa vie, qui tente tant bien que mal de renouer avec ses enfants. Et puis bien sûr, il y a le tueur, torturé, tordu, qui manie le sadisme et la torture mentale avec tout le brio digne des pires psychopathes! 

L'auteur aborde de manière profonde et intelligente les thématiques du deuil impossible à accomplir, l'abandon, le manque d'amour ou l'impossible résilience, chacun pouvant trouver son expression dans ce cri désespéré, "serre moi fort", comme une sanglot étranglé dans la gorge de chacun des protagonistes.

Un roman très sombre où les apparences sont trompeuses, comme l'illustre très bien la couverture. On ne peut plus se fier à notre intuition, rien ne se passe comme on l'avait prévu. Des hommes traités comme des chiens, des chiens qui sont loups. La violence,  psychologique ou physique est omniprésente. Certaines scènes sont à la limite du supportable, les descriptions crues et brutales et pourtant, impossible de lâcher ce livre ! On espère une lueur d'espoir, mais il n'en reste plus beaucoup arrivé à la dernière ligne, en forme de point d'interrogation. Tout cela en valait la peine, n'est-ce pas? À vous de juger.