Dans la forêt, Jean Hegland

Couverture de Dans la forêt, Jean Hegland
Alerte coup de cœur ! Rien d'original, car les avis que j'ai pu lire ici et là sont pour la plupart très positifs. Je n'ai même pas le mérite de la découverte, car je n'avais jamais entendu parler de ce livre avant de tomber par hasard dessus sur e-bibliomedia. Écrit il y a plus de 20 ans et traduit en français seulement en 2017, ce livre fait pourtant dramatiquement écho aux préoccupations de notre époque.

Au début, cela ressemblait à des coupures d'électricité, sans gravité.  Et puis les pannes ont duré plusieurs jours, plusieurs semaines. Et un jour, l'électricité n'est plus revenue. Puis l'essence est venue à manquer et a fini par devenir une denrée rarissime. Les villes ont été désertées. Les magasins pillés. On ne sait pas vraiment ce qui est à l'origine de ce désastre et on ne le saura pas plus qu'Eva et Nell, les héroïnes de ce roman. Isolées dans leur maison en pleine forêt, les deux sœurs assistent de loin à l'effondrement de leur civilisation. 

Si elles tentent dans un premier temps de se raccrocher aux passions qui les ont toujours animées, vaine tentative de garder un pied dans leur vie d'avant, elles vont très vite se rendre compte de l'inanité de leur entreprise. Dans ce décor apocalyptique, leurs rêves de danse ou de Harvard semblent incongrus et ne leur seront d'aucune utilité. Pour leur survie, elles vont devoir oublier tout ce qu'elles ont connu : oublier la lumière qui s'allume en appuyant sur un bouton, l'eau chaude qui coule à la demande, Internet qui en deux clics nous ouvre les portes de l'information et du divertissement, la voiture pour aller d'un point A à un point B, la nourriture à profusion, oublier tout ce qui faisait leur quotidien, tout ce qui a guidé et rythmé leur vie jusque là, tourner le dos à toutes ces choses qui constituaient leur quotidien et qui paraissent désormais d'une futilité désarmante.  A mesure que les jours passent, tout ce qui leur semblait normal "avant" va perdre de sa consistance et ne devenir qu'un souvenir flou, de ceux dont se demande s'ils ont un jour vraiment existé.

Bien qu'Eva et Nell aient passé leur enfance dans la forêt, elles constatent avec désarroi qu'elle ne connaissaient rien d'elle. Elles devront désormais embrasser pleinement leur nouvel environnement, apprivoiser la forêt hostile mais pleine de richesses, apprendre les plantes, leurs secrets de guérison ou de mort, calquer leur respiration sur le rythme de la nature pour vivre en harmonie avec elle. Une sorte de retour à l'essence même de la vie. 

Seules au monde? On ne le sait pas. Le lecteur est immergé au cœur de cette forêt, avec les deux adolescentes et on ne sait que ce qu'elles-mêmes connaissent de la situation, c'est-à-dire pas grand chose. L'isolement ne va pas épargner leur relation. Dans un monde devenu hostile, l'instinct de survie - ou est-ce une furieuse envie de vivre malgré tout ? - va les obliger à se tourner vers l'essentiel. Désormais condamnées à dépendre l'une de l'autre, elles vont devoir trouver un moyen de vivre ensemble, sans laisser leur rivalités ou désaccords contaminer l'amour qui les unit.

Ce livre m'a à la fois fait froid dans le dos, m'a dérangée, m'a émue. Le roman est parfois classé dans la science-fiction. Mais ce qu'il décrit n'est pourtant pas si éloigné de ce qui nous menace... Glaçant par les perspectives qu'il expose, il est à la fois porteur d'espoir lorsqu'il met en lumière notre pouvoir de résilience et notre faculté d'adaptation. Une belle sensation de liberté se dégage de la scène finale, une respiration profonde après une longue apnée, qui illustre magnifiquement la détermination des deux jeunes femmes, enfin en phase avec elles-mêmes et avec les éléments. Ce roman résonne comme un avertissement, comme une ode à la nature et comme le commencement d'une ère nouvelle, peut-être plus proche qu'on ne le pense.

1 commentaire:

  1. Ce roman n’est pas sans me rappeler le célèbre « Ravage » de Barjavel. Mais ici la solidarité entre les deux soeurs semble être l’élément essentiel du thème choisi par l’auteur...

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